RÉFLEXIONS SUR LE ROTARY FACE À LA VIOLENCE
Au terme de 40 années passées comme membre du Rotary club Angers, Joseph Giboin fait partager une préoccupation intime qu’il a essayée de gérer tout au long de sa vie d’avocat. Comment faire face à la violence ? Comment gérer nos propres pulsions ou réagir face à un acte de violence ? L’expérience vécue au Rotary apporte-t-elle un début de réponse ?
Récemment, je regardai West Side Story à la télévision ; il ne suffit pas de chanter « Maria, Maria… ! » pour interrompre le chemin inexorable de la violence. Dès l’origine de notre humanité, Caïn a tué Abel. Mon but n’est pas de traiter de la violence au sens large, ni de développer une thèse pacifiste tendant à s’opposer à la réalité de la violence, mais de faire le point des moyens mis à notre disposition pour y répondre, et à tout le moins d’y réfléchir ensemble.
Commençons par évoquer la loi du Talion du code d’Hammourabi, roi de Babylone au VIIe siècle avant notre ère, connue dans l’expression « œil pour œil, dent pour dent » Les textes de la Bible sur l’Exode ne sont pas plus tendres, ceux du Coran non plus. Le Christ enseigne « aimez-vous les uns les autres » dans le discours sur la montagne ; selon l’évangile de saint Mathieu, Jésus proclame « vous avez appris qu’il a été dit Œil pour œil, dent pour dent. Et moi je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tend lui aussi l’autre… » Bien d’autres textes pourraient être invoqués, puisque la violence est au cœur de notre humanité sous différentes formes : physique, verbale, psychologique, économique et tant d’autres…
Au cours de mon exercice professionnel, je me suis bien souvent interrogé sur l’attitude à adopter face à des violences lorsque l’agressivité des uns vient suppléer à l’efficacité d’une argumentation. Comment répondre ? L’escalade des propos permet rarement d’enrichir le débat (loi du Talion). Par contre, la question mesurée qui tend à éveiller sur l’excès d’un propos peut conduire à un rééquilibrage du débat (la joue tendue). Tout cela est bien difficile, si je reste persuadé que les excès finissent toujours par se réguler ; encore faut-il y travailler, cela ne va pas de soi, pour être l’artisan d’une rencontre possible.
Comment sortir d’un contexte de violence pour tendre vers le respect mutuel et la nuance du propos ? Je regrette de ne pas avoir connu mon confrère Paul Harris, fondateur du Rotary, pour en discuter avec lui. Le Rotary a fort heureusement écrit son histoire. Paul Harris est frappé au cours d’une promenade en 1900 à Chicago, avec son confrère Bob Frank, du caractère chaleureux des propos échangés. La première réunion du Rotary se tient le 23 février 1905 avec des professionnels de leur entourage. À cette époque, aux États-Unis, les thèses de Frederik Taylor faisaient prévaloir la productivité de l’industrie sur le facteur humain. Parallèlement, les Rotary clubs élaborent les premiers codes de déontologie applicables dans les clubs, et par extension dans les entreprises. Il me semble que cette expérience est bien un début de réponse aux violences suscitées par le souci de rentabilité dans le monde du travail.
C’est dans ce contexte que l’homonyme Herbert Taylor formule en 1932, au plus fort de la Grande dépression, le Critère des quatre questions qui sera adopté par le conseil central du Rotary International en 1943 :
1) Est-ce conforme à la vérité ?
2) Est-ce loyal de part et d’autre ?
3) Est susceptible de stimuler la bonne volonté réciproque et de créer de meilleures relations amicales ?
4) Est-ce bénéfique à tous les intéressés ?
Ces critères sont-ils des éléments utiles pour juguler une situation de violence ? L’objectif reste modeste et collé à la réalité de notre quotidien. Face à une situation à laquelle j’ai envie de répondre avec violence ou que je perçois comme une agression, est-il utile de soumettre le sujet au feu du Critère des quatre questions ? Qu’est-ce que cela apporte ? Dois-je me contenter de la sagesse prêtée au roi Salomon « Tourner sept fois la langue dans sa bouche » avant de répondre ?
1) Est-ce vrai ?
Les commentaires insistent sur la difficulté d’appréhender la notion de vérité, objective ou subjective, et ont recours à la sincérité, à la lucidité d’un honnête homme. Ce premier critère confère une place de choix au développement de l’esprit critique. De nos jours, les réseaux sociaux et la possibilité de combinaison de vidéo dont le but est de promouvoir une idée ou une situation non conforme à la réalité, nous imposent de vérifier les sources de toute information. Alors que nous sommes rentrés dans l’ère de la communication, la vérification du lien entre l’information transmise et la réalité s’impose. Il nous appartient de prendre le recul nécessaire pour analyser la source du propos. Mille situations me viennent à l’esprit ; qu’en est-il de mon écoute et de ma réaction face aux thèses dites « complotistes » ? L’actualité offre aux Rotariens l’opportunité de travailler à la qualité de la relation sociale et en s’interrogeant : est-ce vrai ? avant de servir de vecteur de communication.
2) Est-loyal ?
Ce critère est plus complexe qu’il n’y paraît. Certes, le terme intègre la notion de légitime (conforme à la loi), mais je lui confère une assise plus étendue. En effet la seule application de la loi et des règlements n’est pas toujours suffisante pour répondre à des situations humaines qui relèvent d’une certaine violence. Ce critère m’apparaît inviter les Rotariens à la réflexion éthique qui est par nature au-delà des lois et des règlements. Le Concours de promotion de l’éthique professionnelle présente nombre d’hypothèses utiles à la réflexion de chacun. Notre réflexion peut s’enrichir du triangle du philosophe protestant Paul Ricoeur « Je, Tu, Il… »
3) Est-ce apaisant ?
C’est un bel objectif qui instaure le principe de création de lien d’amitiés. Avec le temps, je perçois que ce critère peut avoir un ressort plus profond dans le mécanisme de nos relations, de notre humanité. Qu’est-ce que « créer de meilleures relations amicales » ? S’agit-il de relations que l’on pourrait qualifier de fraternelles ? La notion de fraternité n’est pas limitée aux relations familiales, par le sang, elle peut s’appliquer à des relations de groupe. Ce critère nous expose à une réflexion sur la solidarité, et sans doute avec une touche pragmatique pour nous cantonner dans le réel au-delà des déclarations de principe.
4) Est-ce équitable ?
C’est la cerise sur le gâteau, une attitude, un raisonnement « gagnant-gagnant ». Le contraire de l’impérium. La relation ne conduit pas à la domination, mais à la création d’un lien durable, équilibré, favorable aux différents partenaires. Oui, c’est un objectif.
L’application de ces quatre critères offre une réponse en situation de violence. Mais ce n’est qu’un guide, il n’y pas d’obligation, pas de sanction ; c’est à chacun de voir comment et en quelle occasion il est opportun de s’en prévaloir et de les appliquer.
Dans son ouvrage Une terre promise, Barack Obama affirme : « Si nous gagnons, cela voudrait dire que je n’étais pas le seul à croire que le monde n’était pas nécessairement un endroit inhospitalier et impitoyable, où les forts écrasaient les faibles, où nous étions éternellement condamnés à nous organiser en clans et en tribus, à batailler contre des puissances inconnues et à nous blottir craintivement face aux ténèbres »
Oui, le Critère des quatre questions constitue un riche apport dans la construction de notre humanité. Merci chers confrères Paul Harris et Herbert Taylor, pour votre esprit visionnaire !
TEXTE DE JOSEPH GIBOIN
Dans la même rubrique
- Magazine 848 - Avril 2024
LE ROTARY CLUB FÈS PARRAIN DE 8 ROTARACT ET 5 INTERACT CLUBS
Le Rotary club Fès fait de la jeunesse une priorité absolue. Celle-ci est partagée par la gouverneure du…
LireLes actions
Des clubs
Retrouvez ici toutes les actions des clubs près de chez vous
Les plus partagés
DES CANARDS NAGENT CONTRE LE CANCER UN DÉPART LUMINEUX POUR DES NAGEURS SOURDS UN CHIEN D’ASSISTANCE CHANGE DES VIES UNE ACTION CONDUITE EN UKRAINE…AU COURS DE 4 500 KM LE ROTARY CLUB FÈS PARRAIN DE 8 ROTARACT ET 5 INTERACT CLUBS