Réflexion sur la problématique des effectifs

Souvent, dans les clubs, on entend ces réflexions qui regrettent un passé où « nous étions plus nombreux», où « les dîners étaient de vraies fêtes »… L’âge, les changements de société, la lassitude, l’attrait d’autres horizons ont été autant de facteurs qui ont amené un renouvellement de la population rotarienne et l’évolution de la culture de chaque club. La question des effectifs n’est ni nouvelle, ni résolue. Elle perdure, mais n’a pas empêché le Rotary de poursuivre sa route, même si des rééquilibrages se sont produits entre continents et entre zones. TEXTE DE PIERRE FRANCESCHI, Rotary club Ajaccio

Image Réflexion sur la problématique des effectifs

Je voudrais ici proposer une réflexion à frais nouveaux pour aller au-delà des apparences et des images d’Épinal que nous reproduisons trop souvent de manière masochiste dans le genre : « on nous considère comme des nantis, ripailleurs et se donnant bonne conscience par des petites actions de dames patronnesses ». Reporter la faute sur « les autres » est une disposition d’esprit qui s’assimile, à mon sens, à un refus d’adaptation à la société et nous empêche d’entrer dans une démarche de résilience éventuelle...
Le Rotary, aussi bien dans sa structure locale qu’internationale, relève de l’associatif et c’est dans ce contexte qu’il faut y inscrire ses évolutions et ses problématiques. Cet article limitera son approche à la zone 13 pour ce qui est du Rotary et à la France pour ce qui est des données recueillies.

 

Un contexte associatif plutôt favorable

Trois enquêtes donnent une image importante autant qu’intéressante sur le panorama du monde associatif en France.
L’enquête BVA de décembre 2019, portant sur le rapport des Français à l’associatif, fait apparaître que 43% d’entre eux adhèrent à une association notamment dans le domaine sportif (41%), des loisirs (20%) ou de la culture (17%). En ce qui concerne les dons, les associations « caritatives de quartier » sont plébiscitées (86%), notamment quand son action se situe à l’échelle locale qui est prioritaire pour 58% des donateurs, plutôt que l’échelle nationale (30%) ou internationale (11%).
Une enquête de Webassoc du 28 mai 2018 sur les motivations de l’engagement des bénévoles, fait apparaître que c’est la solidarité qui motive principalement les répondants (63%), la quête de sens ensuite (54%) et le lien social enfin ; de nombreuses réponses renvoient à la joie et la religion. La quête de sens concerne davantage les plus jeunes (69% des moins de 25 ans), tandis que l’aide aux plus fragiles est citée par les plus de 60 ans. Logiquement, les motivations professionnelles concernent principalement les moins de 40 ans et les rencontres plutôt les 25-40 ans (43%).
Une étude sur « La France Bénévole » sur la période 2016-2019 complète ce tableau en précisant que la proportion des Français donnant du temps gratuitement a globalement un peu fléchi, que les bénévoles se sont féminisés jusqu’à une stricte parité en 2019, davantage par le recul de la proportion des hommes, qu’ils ont rajeuni, grâce à une progression de l’engagement des moins de 35 ans, et surtout par un recul constant et préoccupant de la proportion des plus de 65 ans. Enfin, elle fait apparaître que les sources de satisfaction sont en augmentation, l’épanouissement personnel en tête (40% en 2019 contre 34% en 2016).
En outre, cette enquête importante met en lumière six points fondamentaux :


Le temps d’implication - L’implication est nettement plus ponctuelle sur une décennie ce qui signifie que la structure associative se trouve fragilisée dans la mesure où manquent les bénévoles quasi-permanents qui la font fonctionner.
Les motivations - Les raisons de l’engagement sont l’utilité, la cause défendue et l’épanouissement personnel. Sur ce plan, il faut remarquer que les femmes recherchent davantage que les hommes une cause à défendre et leur épanouissement personnel.
Les attentes - Elles sont claires : de la formation et de l’entraide. Il faut souligner aussi une attente personnelle, une sorte de profit tiré de l’activité bénévole, une valorisation de l’engagement.
La satisfaction – Elle tient à trois points : le plaisir d’être efficace et utile et avoir le sentiment de faire bouger les choses, le contact avec les autres et la convivialité. En clair, les bénévoles cherchent à joindre l’utile à l’agréable.
Les déceptions - Les sources d’insatisfaction tiennent au manque de moyens financiers, logistiques et humains. Cette déception est logique et inévitable car les associations comptent aujourd’hui en moyenne 13 membres ce qui fait porter la charge de l’action et du financement à un petit nombre de bénévoles.
Les abandons - La raison principale affichée est le manque de temps pour les femmes et les moins de 35 ans, les problèmes de santé et les petits-enfants pour les plus âgés.


Au regard des résultats de l'enquête sur le monde associatif français, et de l'évolution des effectifs rotariens en France, il est possible de structurer une analyse en quatre points:

 

Nos points forts
Ce qui apparaît tout d'abord est la force de l'engagement des seniors et des jeunes au sein du Rotary en regard de l'engagement moyen dans le monde associatif en général : les seniors représentent la force des associations et ils sont en diminution ; au Rotary, il faut noter que la participation des seniors s’accroît au lieu de diminuer. Il faut, toutefois, s’inquiéter de la diminution du nombre de quinquagénaires qui semble indiquer que cette tranche d’âge a vieillie et est devenue senior sans avoir été remplacée.
Par ailleurs, les jeunes (trentenaires ou moins) qui représentent une faible part dans le monde associatif, ont une part plus grande dans le monde rotarien et leur progression est importante (même s’il faut se méfier des images données par les petits nombres). Cela devrait nous encourager à les solliciter dans le cadre des Interact et des Rotaract.
Il faut souligner aussi le dynamisme des Rotariens dont l'action tant locale qu’internationale ne cesse de progresser au fil des années et le soutien financier qu'ils apportent au Rotary en général soit directement soit pour la voie de leur réseau.


Des efforts à faire
Cependant, des efforts doivent encore être faits et le plus important d'entre eux porte sur la cooptation des femmes. On a vu qu'elles représentent, peu ou prou, un tiers des effectifs des associations ; au sein du Rotary de la zone 13 ( France, Belgique, Andorre, Luxembourg et Monaco), elles représentent un peu moins d’un cinquième des Rotariens, ce qui est faible et trahit probablement la discrimination professionnelle existant pour l’accession aux postes d’encadrement.


Les dangers
Le premier des dangers nous guettent me semble être l’excessive professionnalisation de l'action rotarienne. Si elle paraît induite du fait la complexité croissante des règles et des structures, il me semble nécessaire de ne pas transformer le  club en un prolongement de l’activité professionnelle qui risquerait d’entraver la quête de plaisir et de convivialité de chacun.
Le second danger qui menace est celui de la dépersonnalisation. En effet, la multiplication du nombre d'actions internationales ou nationales, standardisées, est de nature à faire perdre son identité locale aux clubs qui, pourtant, demeurent attachés à l'action internationale ; l’ancrage local des Rotary clubs demeure un impératif.
Enfin, le financement trop fréquent d'autres associations humanitaires pose un problème de stratégie : s'il est vrai que nous ne savons pas tout faire, nous sommes en mesure néanmoins de solliciter des professionnels qui peuvent nous aider dans notre action et non pas des associations auxquelles nous n’apporterions qu’une subvention et qui agiraient à notre place ; il faut affirmer notre présence.


Reconsidérer la problématique des effectifs à partir de notre identité

Le constat que l’on peut faire fait apparaître deux éléments importants : le premier est que notre organisation est plutôt en bonne santé dans la zone 13, la seconde est que le complexe que nous pouvons développer par rapport à une image négative de nantis est erronée dans la mesure où le Rotary s’inscrit peu ou prou, bien qu’avec des différences, dans le paradigme des associations françaises.
Il me semble cependant utile d’apporter un autre regard sur la politique des effectifs et principalement au travers d'une vision de l'identité.
L’image du Rotary et des Rotariens ne variera pas dans le temps car elle est désormais inscrite dans l’imaginaire collectif. Hier, faire partie du Rotary était un marqueur social et une distinction personnelle comme le décrit impeccablement le roman de Georges Simenon La Boule noire. Cela est encore vrai en Europe. Pour sa part, la France a stigmatisé ceux qu’elle a désigné comme des nantis et dont elle a nié la réalité de l’humanisme au nom d’une vision égalitariste.
Il nous faut assumer ce statut de Rotarien, différent mais reconnu auprès de la plus grande partie de la population qui, cependant, a une approche de l’association davantage orientée vers les structures locales et l’aide aux plus pauvres. Il n’y a pas de convergence de vue mais un respect.
Il faut conserver notre identité de Rotariens, c'est-à-dire de professionnels de qualité et d'une éthique élevée : il faut éviter de transformer nos clubs en structures de masse pour, d’une part, pour ne pas perdre cette convivialité qui est l’apanage des petites structures plus que des grandes et parce que, d’autre part, les grandes structures suscitent des groupes qui portent en eux autant de germes de fractures.
Nous sommes des professionnels qui s’inscrivent dans des réseaux et cela peut être considéré comme une partie de notre ADN. C'est par cette qualité que nous pouvons accroître les moyens de notre action de deux manières : d'une part, en développant le sponsoring d'entreprise et, d'autre part, en développant le fundraising que peut favoriser une présence longue sur les réseaux sociaux. Cet objectif ne peut être atteint que par des Rotariens de pouvoir et de réseaux.
Enfin, pour mobiliser les Rotariens, il y a une et une seule recette : la valorisation personnelle. Les enquêtes sur les associations le montrent à l’envi : les bénévoles ont besoin de sentir qu’ils servent à quelque chose en servant quelqu’un au coin de la rue ou au bout du monde. Ils ne réclament pas d’avantages matériels, personnels ou professionnels. Ce point est une clé de voûte car il conditionne à lui seul la fidélisation des Rotariens. Certes, on ne peut passer sous silence les aspects de formation, de responsabilisation et de collégialité qui renforcent cette fidélisation, mais il est nécessaire de placer la valorisation, la reconnaissance et le plaisir comme autant de sources génériques.


Conclusion
La démarche rotarienne est à l’inverse de la tranquillité d’esprit car elle nous amène toujours à nous interroger sur nous-mêmes et sur les conditions de notre action.
Malgré la facilité que nous apportent les outils informatiques, la présence amicale demeure centrale ; malgré la nécessité d’être suffisamment nombreux pour compenser absentéisme, contraintes et départs, il nous faudra toujours conserver une taille raisonnable pour ne pas nous déshumaniser. Il nous faudra continuer à écouter battre notre cœur pour aider les autres car « après ‘aimer’, ‘aider’ est le plus beau verbe du monde » (Bertha von Suttner).
Je conclurai logiquement avec Léon Blum : il nous faut rester à l’échelle humaine.

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