Nina Métayer
Sacrée meilleure pâtissière du monde en 2023 puis en 2024, la Française n’a plus rien à prouver dans son métier. Malgré les lauriers et le temps qui passe, elle exerce toujours, à 37 ans, sa profession avec passion et se réjouit de pouvoir susciter des vocations. Entre deux avions, elle prend le temps de se livrer. Interview. PROPOS RECUEILLIS PAR MARINE COUTURIER

Après toutes ces récompenses, qu'est-ce qui vous anime encore au quotidien ?
Ces accomplissements ne sont pas pour moi une fin en soi, mais un tremplin pour continuer. Derrière, j’ai encore beaucoup de nouveaux projets incroyables
qui sont un peu la cerise sur le gâteau. Mais il est aussi très important de prendre soin de tout ce que l’on a construit, car notre métier se vit au quotidien. Mon
souhait est de continuer à voir grandir mon équipe et la passion de chacun de ses membres, afin que la même tarte au citron soit toujours réalisée avec autant
d’amour. Finalement, il s’agit de conserver un équilibre entre la joie que l’on met dans notre travail chaque jour et celle que nos clients vont recevoir en mangeant nos desserts. Je vois mon métier comme un challenge qui se répète sans cesse, et je prends plaisir à être derrière mes partenaires pour leur transmettre de l’énergie. Cela n’a rien de lassant.
Avant de devenir pâtissière, vous avez commencé par vous former à la boulangerie où l'on vous a dit que ce n'était pas un travail de femme. Quel regard portez-vous sur cela aujourd'hui ?
Avec le recul, j’ai un regard attendri sur cette période, et je n’en veux absolument pas aux personnes qui ont pu me dire cela. Il faut se remettre dans le contexte
de l’époque où il n’y avait que très peu de boulangères pour servir d’exemple. J’étais, par ailleurs, une jeune femme qui faisait le même poids qu’un sac de farine,
alors, forcément, les professionnels autour de moi se demandaient comment j’allais faire pour le porter. Aujourd’hui, les choses ont changé et j’en suis heureuse. Les sacs de farine sont passés à 25 kilos, le travail est moins exigeant physiquement et les mentalités ont évolué. Au point que de nombreuses femmes ont décidé de faire de la boulangerie leur métier. Et même si cela n’a pas été mon cas, je suis heureuse d’avoir pu racheter les deux boulangeries de La Rochelle où j’ai été formée, et dont le patron a été, à l’époque, le seul à croire en moi et à accepter de me former.
En parlant de la place de la femme en boulangerie-pâtisserie, vous avez été la première à décrocher le titre de Pâtissière mondiale en 2023. Cela a-t-il eu une importance pour vous ?
Je suis bien entendu ravie d’avoir été la première, mais ce n’est pas le plus important. Ce qu’il faut retenir, c’est que tous les domaines sont accessibles aux femmes et que l’on ne peut plus s’entendre dire que les métiers de la boulangerie-pâtisserie ne sont pas des métiers féminins. Au-delà, j’espère que cette récompense participe à briser certaines barrières que les femmes peuvent se mettre, et à donner envie à celles qui le souhaitent de se lancer dans cette profession. Si je peux servir d’exemple, c’est une très bonne chose. Le monde de la pâtisserie a besoin de personnes passionnées, que cela soit des jeunes femmes ou des jeunes hommes d’ailleurs. Notre métier est physiquement éprouvant et impose de nombreuses contraintes, c’est pourquoi on ne peut l’exercer que si l’on est passionné.
Il peut arriver qu’une idée me vienne subitement, mais je fonctionne essentiellement par des successions d’essais. Comme l’artiste qui va commencer par une esquisse, puis donner naissance petit à petit à son œuvre, je fais un essai après l’autre. D’ailleurs, le plus souvent, cela ne fonctionne pas du premier coup. La créativité me vient en touchant la matière, en reproduisant, en me heurtant à des obstacles et en recommençant. C’est tout à fait ce qu’il s’est produit avec l’impression 3D, pour laquelle nous avons fait partie des premiers à investir cette technique en pâtisserie. Nous souhaitions réaliser quelque chose de très fin et délicat, mais nous n’y parvenions pas avec les techniques dont nous disposions. Nous avons donc investi dans une petite imprimante 3D et commencé à faire des petites tuiles, et c’est petit à petit devenu notre signature. Aujourd’hui, cette technique est largement utilisée dans la pâtisserie.
Nous savons que la dimension environnementale est importante pour vous.De quelle manière l'intégrez-vous à votre travail ?
Cela se fait de différentes manières. Déjà, lorsque j’ai créé mon premier business, celui-ci était entièrement digital, avec une production à la demande pour éviter le gaspillage. Et ce qui est positif pour l’environnement l’est à plusieurs égards : c’est bon également pour l’énergie que les pâtissiers déploient à imaginer des créations qui ne seront pas mises à la poubelle, et c’est bon aussi pour les agriculteurs qui cultivent des produits qui ne seront pas jetés. Finalement, on économise de l’énergie sur tous les plans. Par ailleurs, j’ai fait le choix de travailler des produits de qualité, en favorisant autant que possible l’approvisionnement local et la saisonnalité. Il est important de préserver toutes les choses les plus rares et les plus belles que nous avons.
Avant d’être à la tête de votre propre marque, vous avez travaillé pour plusieurs entreprises. Cette évolution a-t-elle été difficile à mettre en place ?
Non, car j’ai tout fait petit à petit. Pour être honnête, je n’avais jamais imaginé être indépendante, mais ma carrière m’a finalement amenée à conseiller des
professionnels en haute pâtisserie et en développement d’affaires. J’ai alors réalisé que je pouvais, moi aussi, créer ma propre enseigne. Lorsque nous avons
ouvert la Délicatisserie, en 2020, nous n’étions d’abord que trois avec mon mari et un employé. Nous avons ensuite développé l’affaire, à la hauteur et à la vitesse
de ce qu’il était possible de faire, sans chercher à brûler des étapes. Nous avons pris notre temps avec le souci de faire les choses bien et en construisant des bases assez solides pour pouvoir poser la brique d’après. Au tout départ, le site Internet proposait uniquement des galettes, et l’on ne produisait que ce qui était vendu. Petit à petit, nous avons pu nous équiper en matériel, recruter et mettre en place une organisation en fonction de nos besoins. Tout s’est fait de manière très agile, très souple et très confortable.
Vous disposez aujourd’hui de plusieurs points de vente à Paris, et vous avez ouvert fin 2024 deux nouvelles boutiques à La Rochelle, votre ville d'origine. C'était important pour vous d’amener la haute pâtisserie hors de Paris ?
Il s’agit surtout d’un choix guidé par le cœur. Plus que la ville elle-même, il était important pour moi de revenir à l’endroit même où j’ai été formée. Et comme si c’était une évidence, toutes les étoiles se sont alignées : mon ancien maître d’apprentissage prenait sa retraite et vendait ses boulangeries, et ma cheffe de production souhaitait s’installer en Charente-Maritime. C’était donc le bon moment. Pour l’heure, j’ai d’autres projets en cours de réflexion, mais il n’y a rien de pressé. Mon installation à La Rochelle a pris dix ans et je suis en phase avec cela. Je suis d’ailleurs prête à prendre le temps qu’il faut pour que d’autres projets voient le jour.
Au-delà d'être cheffe pâtissière, vous êtes aussi une femme et une mère de famille. Est-il difficile de concilier votre carrière et votre vie privée ?
Cela n’est ni facile ni difficile, ce sont des choix perpétuels, avec un équilibre à trouver et à conserver au quotidien. J’ai fait le choix d’intégrer toute ma famille
à mon métier. Je travaille avec mon mari, mais aussi mes parents, mes sœurs ou encore mes cousins. Évidemment, je ne veux pas dire que c’est facile, parce
qu’il est important de pouvoir consacrer du temps à sa vie de famille en dehors de son activité, et également de s’épanouir soi-même. Tout est un peu remis
en question au quotidien en fonction de l’emploi du temps de chacun, mais même si cela n’est pas toujours simple, tout se fait très bien.
