Alexandre Giuglaris

La visibilité des grands monuments permet d'intéresser les donateurs au patrimoine rural

Arrivé à la tête de la Fondation du patrimoine le 1er octobre dernier, Alexandre Giuglaris entend poursuivre la politique d’intégration du patrimoine dans les enjeux socio-économiques et écologiques globaux. De nouveaux défis se présentent à l’organisation qu’il dirige, depuis les aléas climatiques jusqu’à la diversification des usages des monuments. PROPOS RECUEILLIS PAR SARAH HUGOUNENQ

Image Alexandre Giuglaris
Le rôle de la Fondation du patrimoine, à sa naissance en 1996, était dévolu à la protection du patrimoine vernaculaire. Aujourd’hui, elle porte des sujets aussi médiatiques que le Loto du patrimoine ou la collecte pour Notre-Dame de Paris. Est-ce un dévoiement de ses missions originelles ?


Cet ADN consacré au « petit » patrimoine rural non protégé ne nous empêche pas de faire plus et de nous mobiliser pour des monuments emblématiques, comme Notre-Dame ou le château de Chambord. L’élargissement et le développement de notre action ne se font pas au détriment du patrimoine rural. Bien au contraire,
c’est une opportunité. La visibilité des grands monuments permet d’intéresser les donateurs à des projets de plus petite taille. Par ailleurs, la cause patrimoniale
est de plus en plus prégnante dans l’opinion publique comme chez les élus. À nous de répondre présents.


Comment expliquez-vous cet engouement pour le patrimoine depuis une dizaine d'années ?


L’attachement des Français au patrimoine est historique : de la création, sous l’Ancien Régime, d’un poste de surintendant des bâtiments en charge de leur préservation, à des personnalités, comme Prosper Mérimée (1), qui participèrent à la politique patrimoniale d’État. Cet attachement est aussi charnel : dans chaque village, les monuments aux morts, les fontaines, les lavoirs parlent de l’histoire familiale et individuelle des habitants. Ce qui se joue depuis quelques années est la visibilité croissante donnée à cette cause grâce au Loto du patrimoine, porté par l’aura de Stéphane Bern, et à l’incendie de Notre-Dame, qui a accéléré la prise de conscience de la fragilité de ce patrimoine.


À la création de la fondation, le mécénat, y compris populaire, était un sujet absent du débat public. Désormais, la multiplication des crises (sociale, humanitaire et écologique) démultiplie les sollicitations. Lever des fonds en faveur du patrimoine est-il toujours un défi ?


Oui, c’est un défi et une ardente nécessité. Même si, rappelons-le, dans la loi fondatrice du mécénat, les déductions fiscales sont identiques pour tous les champs de l’intérêt général. Malgré les difficultés, ce mécénat, aussi bien populaire que d’entreprise, progresse. Je pense par exemple aux Pays de la Loire. La délégation régionale a collecté 10 millions d’euros en vingt ans, mais 900 000 euros par an ces dernières années. La fondation cherche, par la mobilisation sur le terrain de nos bénévoles, à nourrir l’attachement au patrimoine dont nous parlions. Plus que d’opposer le patrimoine à d’autres causes, il s’agit de rappeler qu’il est un levier fédérateur. S’occuper du patrimoine, c’est créer de l’emploi local non délocalisable. C’est créer du tourisme et, donc, de l’activité économique. C’est aussi un levier d’intégration sociale, par le biais des chantiers d’insertion que nous soutenons. Enfin, c’est un moyen de répondre au défi écologique : en restaurant notre bâti ancien, nous améliorons aussi sa performance énergétique. Par exemple, nous accentuons notre action sur l’écorénovation, notamment par le biais de notre label, un outil de défiscalisation pour les propriétaires privés qui pourrait être étendu aux restaurations intérieures environnementales de qualité, avec des matériaux biosourcés. Soutenir le patrimoine, ce n’est pas simplement restaurer de vieilles pierres, c’est également protéger un environnement socio-économique et écologique pour l’ensemble des Français. À ce titre, nous avons tenté d’objectiver ce qu’apporte la Fondation du patrimoine à la société, par deux études d’impact. Le résultat est patent : 1 euro de soutien au patrimoine engendre 21 euros de retombées directes et induites.


Vous disiez que le soutien au patrimoine restait "une ardente nécessité". Notre patrimoine est-il encore en danger ?


Oui, il l’est toujours. Dans le cadre du Loto du patrimoine, la plateforme de signalements à partir de laquelle nous sélectionnons chaque année un petit millier de sites bénéficiaires a fait remonter 5 500 dossiers, ce qui montre l’ampleur des besoins. Concernant le seul patrimoine religieux, nous estimons que 3 000 à 5 000 édifices sont en péril. Si l’usure du temps en est la principale cause, les aléas climatiques accélèrent cette dégradation. L’église Notre-Dame de Bouillac, dans le Tarn-et-Garonne, pour laquelle nous venons de lancer une souscription, a vu cet été d’importantes fissures apparaître, dues à la sécheresse. Nous avons aussi lancé une collecte à la suite du séisme de juin 2023 qui a endommagé nombre d’églises dans le Marais poitevin.


Vous avez été choisi, début septembre, pour porter la collecte nationale en faveur du patrimoine religieux. Est-il simple de récolter des dons pour les édifices cultuels dans un pays comme la France ?


Il s’agit d’une collecte en faveur du patrimoine et non pour tel ou tel culte. Tout comme notre organisation, l’objet de la collecte est laïque. On le lit aussi dans le
soutien manifeste de l’État à l’opération, puisqu’exceptionnellement, le taux de déduction des dons des particuliers est porté à 75 % (au lieu de 66 %) dans la limite de 1 000 euros. Par ailleurs, en vingt-cinq ans, nous avons soutenu la restauration de 8 000 édifices religieux, et espérons, avec cette opération, en faire bénéficier 1 000 autres projets en quatre ans. Au-delà de tout enjeu de croyance, ce patrimoine, comme d’autres, a une importance historique qu’il convient de transmettre alors même que les petites communes n’ont guère les fonds pour l’entretenir. Il fait partie de notre identité collective et constitue souvent, par sa multiplicité sur le territoire, le premier accès à l’histoire, au beau, à l’artisanat d’art… Tout le monde n’est pas proche d’un musée. Ce qui est intéressant dans cette initiative, c’est de susciter la coopération entre milieux urbains et ruraux. C’est une collecte de solidarité territoriale. Lors du premier mois de collecte, 50 % des 500 000 euros récoltés sont venus d’Île-de-France et des principales métropoles françaises, alors que l’argent servira à des projets ruraux.


Quelle évolution constatez-vous dans les projets qui vous sont soumis ?


La notion de patrimoine s’est beaucoup élargie ces dernières années, ce qui est une bonne nouvelle. Nous assistons à la redécouverte du patrimoine de la reconstruction d’après-guerre, du patrimoine industriel ou technique – je pense à l’engouement autour des premières locomotives ou des premiers avions –, de l’architecture du XXe siècle… Cette variété permet aussi d’imaginer de nouveaux usages, de nouvelles vocations, allant de centres culturels à des tiers-lieux, en passant par des institutions sociales.


Face à cette variété, comment sélectionnez-vous les projets que vous soutenez ?


Notre organisation est très décentralisée. Les délégations régionales et départementales sont à la manœuvre grâce à notre réseau de 950 bénévoles, que nous cherchons toujours à enrichir de personnes aux compétences variées et non exclusivement patrimoniales. Les projets sont ensuite sélectionnés selon plusieurs critères : l’intérêt patrimonial et historique, l’impact économique, social et environnemental du projet, l’urgence à intervenir, ou encore le dynamisme des porteurs de projet. Pour réussir, un chantier doit compter sur des porteurs de projet mobilisés. Plus récemment, nous avons ajouté la dimension de « vocation d’usage ». S’il n’est plus ou peu utilisé, un bâtiment a d’autant plus d’avenir quand on y implante de nouvelles activités. À partir de ces éléments, nous rencontrons les propriétaires, qu’ils soient publics, associatifs ou privés, pour trouver des solutions financières. Nous ne sommes pas un guichet de subventions : nous envisageons le meilleur plan de financement entre mécénat, collecte de dons, subventions publiques ou soutien sur nos fonds propres.


La fondation ne se borne donc pas à lever des fonds pour restaurer le patrimoine, vous abondez également les souscriptions. Comment êtes-vous financés ?


Notre principale source de financement est le mécénat, les dons de particuliers et d’entreprises, où chaque geste compte. Pour la souscription de Notre-Dame de
Paris, nous avons recueilli des dons allant de 1 à 100 millions d’euros. Si les PME soutiennent les actions des délégations, les grandes entreprises accompagnent les
programmes nationaux de la fondation en faveur du tourisme ou de l’insertion. Ensuite, 25 % de nos ressources proviennent du Loto du patrimoine. Nous bénéficions également du soutien de l’État grâce aux successions en déshérence qui augmentent notre budget destiné aux projets et à notre fonctionnement.


L’engouement pour le patrimoine a fait éclore nombre de plateformes de financement participatif. Quelle est votre spécficité par rapport à ces sociétés commerciales ?


Il y a une différence fondamentale entre la philanthropie et une activité commerciale. Nous sommes une fondation reconnue d’utilité publique, donc dotée d’une gestion désintéressée, contrôlée par la Cour des comptes. Cette gestion rigoureuse et transparente s’accompagne d’une attention sourcilleuse au fléchage des dons et à leur bonne utilisation par les porteurs de projet. Nous avons un rôle de contrôle des chantiers en ne versant l’argent que sur facture, après nous être assurés que les travaux menés sont conformes au cahier des charges. La confiance que nous témoignent les donateurs est visible dans le développement des dons au titre de l’impôt sur la fortune immobilière ou des legs, dont la particularité est de s’inscrire dans le temps long.


(1) Prosper Mérimée (1803-1870): écrivain, archéologue et historien, il devient en 1834 le deuxième inspecteur des monuments historiques.
 

Les plus partagés

Alexandre Giuglaris

Rechercher un club

la boutique s'abonner