Maryse Le Men Régnier
Magistrate, Maryse Le Men Régnier est également, depuis 2017, présidente de France Victimes, qui regroupe 130 associations d’aide aux victimes à travers le pays. Un engagement qui lui apparaît d’autant plus important que le nombre de victimes ne faiblit pas alors que le soutien des pouvoirs publics est en baisse. PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-PIERRE CHAFES

J’ai effectivement été sensibilisée à l’aide aux victimes dès les premiers dossiers auxquels j’ai été confrontée. Et cette sensibilisation a été d’autant plus importante
que, lorsque j’ai commencé ma carrière comme juge d’instruction à Marmande en 1987, l’aide aux victimes n’en était qu’à ses balbutiements. Si Robert Badinter
avait en effet créé en 1982, au sein du ministère de la Justice, le bureau de la protection des victimes et de la prévention, et si plusieurs associations s’étaient
regroupées en 1986 pour former l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (Inavem), qui deviendra en 2017 France Victimes, il n’y avait pas
l’accompagnement qu’on trouve aujourd’hui dans les juridictions par les associations d’aide aux victimes au sein des bureaux chargés de ces missions. Les commissariats et les gendarmeries ne diffusaient même pas d’informations auprès des victimes quant à l’assistance qu’elles pouvaient recevoir.
Un magistrat ne se doit-il pas d’être neutre ?
Effectivement, un magistrat doit demeurer neutre et impartial. Il n’est pas là pour soutenir la victime, c’est le rôle de son avocat. Mais je me suis rendu compte que bien souvent la victime se retrouvait isolée à l’issue d’une audition devant le juge d’instruction, d’une comparution devant un tribunal correctionnel ou devant une cour d’assises.
Qu’avez-vous décidé de faire ?
J’ai créé en 1991, dans le Lot-et-Garonne, une association de contrôle judiciaire pour la réinsertion des délinquants, à laquelle j’ai rajouté, en 1994, un service d’aide aux victimes. Mon engagement est né à ce moment-là, mais sans négliger la réinsertion parce que je considère qu’une réinsertion efficace et adaptée réduit les passages à l’acte et donc le nombre potentiel de victimes. En 2003, je suis devenue administratrice de l’Inavem, dont j’ai été par la suite trésorière adjointe puis vice-présidente avant d’être élue présidente de France Victimes en 2017.
Le rôle de la justice n’est pas de prendre en charge directement les victimes ou de les accompagner. Les magistrats pénalistes ont pour mission de qualifier un
fait, de rechercher s’il y a des charges suffisantes pour le cas échéant condamner une personne qui a commis une infraction pénale. Si la sanction répare juridiquement la victime dans la mesure où elle est reconnue en tant que telle, elle ne peut à elle seule mettre fin au traumatisme consécutif à une infraction. Les victimes – en particulier dans le cas de violences et d’agressions – ont besoin d’une prise en charge, d’un accompagnement, notamment psychologique.
Quel est le rôle des associations d’aide aux victimes ?
Les 130 associations fédérées au sein de France Victimes ont comme première mission d’évaluer les besoins et les attentes de la victime pour mettre à sa disposition l’assistance nécessaire. Deux phrases peuvent résumer le sens de notre action : « Victime, plus jamais seule » et « À France Victimes, nous savons faire la différence face à l’indifférence ».
Quelles aides apportez-vous aux victimes ?
Dans 63 % des cas, il s’agit d’un soutien juridique. Dans 28 %, d’un soutien psychologique, et pour 8 %, d’un accompagnement social comme l’ouverture de droits. France Victimes compte également de nombreux administrateurs ad hoc, c’est-à-dire des personnes habilitées par le ministère de la Justice qui vont assister l’enfant victime tout au long de la procédure lorsque le procureur de la République ou le juge d’instruction estime qu’il n’est pas suffisamment accompagné par
ses parents. Ce qui est souvent le cas quand il s’agit de violences sexuelles commises au sein de la famille.
Depuis quelque temps France Victimes fait également appel à des chiens pour soutenir les victimes…
Nous avons effectivement 24 chiens dans nos différentes antennes. Notamment pour accompagner les enfants lors des auditions ou des comparutions devant la cour d’assises. C’est assez extraordinaire de voir comment un chien d’assistance judiciaire apaise l’enfant et permet la libération de la parole. Ce n’est pas un gadget. C’est un complément judicieux et utile au dispositif d’accompagnement humain. Au début, cela a un peu surpris dans les juridictions, mais aujourd’hui, la présence du chien est acceptée au même titre que celle d’un avocat ou d’un administrateur ad hoc. Je me souviens d’une collègue juge d’instruction à qui j’ai conseillé d’avoir recours à un chien d’assistance et elle a été bluffée.
Comment la victime et France Victimes entrentelles en contact ?
Soit France Victimes est requise par le procureur de la République et nous nous rapprochons de la personne. Comme cela a été le cas dans les récentes affaires de Bétharram et du Prytanée de La Flèche. Soit la personne va volontairement à la rencontre de France Victimes, dans un bureau de l’aide aux victimes situé dans chacun des 164 tribunaux judiciaires français métropolitains et ultramarins ou dans l’un des 1 560 lieux d’accueil du réseau. Il est inscrit dans le Code de procédure pénale que, lors d’un dépôt de plainte, on doit communiquer à la victime les coordonnées de l’association la plus proche de son domicile. Elles apparaissent d’ailleurs sur l’avis de dépôt de plainte. Par contre, le fait de déposer plainte n’implique pas que la victime se rapproche immédiatement de l’association.
Combien de personnes font appel chaque année à France Victimes ?
En 2024, ce sont plus de 475 000 victimes qui ont été suivies par le réseau, dont 80 000 sont arrivées sur la plate-forme « 116 006 », pour 1 million d’entretiens.
Chaque année, 4,5 millions de personnes déposent plainte. Un chiffre auquel il convient de rajouter 1 million de personnes qui sont victimes d’arnaque à la carte bancaire. Il faut toutefois souligner que 475 000 personnes qui se tournent vers France Victimes, c’est seulement moins de 10 % des 5,5 millions de victimes connues.
Y a-t-il des catégories de victimes que vous accompagnez plus que d’autres ?
Les femmes victimes de violence représentent le gros de nos interventions. Environ un tiers. Notre rôle dans le cadre du Code de procédure pénale est de faire une
photographie à l’instant T des besoins de la victime, une évaluation de sa situation et de demander par exemple un « téléphone grave danger », une ordonnance de protection, etc. Depuis quelques années, on voit augmenter le nombre de mineurs victimes. Que ce soit de violences sexuelles, dans un cadre familial ou
institutionnel, de pédocriminalité en ligne ou de harcèlement scolaire qui touche 1 mineur sur 5.
À ce sujet, quelle est la place de France Victimes au sein de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) ?
Lors de la refonte de la CIIVISE, nous avons proposé que France Victimes siège en tant que représentante des associations d’aide aux victimes et que la présidente en soit l’un des codirecteurs, eu égard à l’expérience de notre fédération dans ce domaine, avec 40 000 mineurs accompagnés en dix ans.
De quoi vit France Victimes ?
Le financement provient essentiellement du ministère de la Justice, mais les montants de l’aide, qui avaient augmenté avec les attentats de 2015 et 2016, sont de
plus en plus faibles. Nous avons également des financements de la part des préfectures, de la délégation des Droits des femmes, du ministère de la Santé. Mais c’est de plus en plus compliqué. France Victimes emploie 1 700 salariés, mais il en faudrait au moins 300 supplémentaires pour accompagner les victimes dans des
délais très corrects et dans de meilleures conditions. Nos salariés sont insuffisamment rémunérés, par rapport à leurs diplômes et à leur valeur. Et nous avons donc des difficultés à les fidéliser.
La France est-elle un bon élève en Europe en termes d’aide aux victimes ?
La France est à la pointe en ce qui concerne les dispositifs de protection légale tels que les unités médico-judiciaires (UMJ) ou les unités d’accueil pédiatrique des enfants en danger (UAPED) qui permettent de déposer plainte à l’hôpital ; ou pour ce qui est des dommages et intérêts grâce à des fonds de garantie qui
indemnisent les victimes sans qu’elles aient besoin de se lancer dans des procédures coûteuses et vaines. Le budget pour l’aide aux victimes est de 55 millions d’euros par an pour 68 millions d’habitants, contre 75 millions d’euros aux Pays-Bas pour 18 millions d’habitants. Un autre chiffre parlant : en France, nous consacrons seulement 10 € par victime et par an.
