Dani Kouyaté

A Ouagadougou, un jeune peut monter son film comme un jeune américain

Né en 1961 dans une famille de griots à Bobo-Dioulasso au Burkina Faso, Dani Kouyaté débute des études de cinéma à Ouagadougou, qu’il poursuit à Paris tout en obtenant un diplôme d’anthropologie. Réalisateur de plusieurs films et documentaires depuis 1995 (son dernier long métrage - Katanga, la danse des scorpions - est sorti en 2024), Dani Kouyaté est également metteur en scène de théâtre. Après avoir résidé à Paris, il vit désormais à Uppsala, en Suède, où il enseigne le théâtre et le cinéma. Il se rend régulièrement au Burkina Faso. PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE BAQUE

Image Dani Kouyaté
En février dernier, vous avez obtenu l’Étalon d’or de Yennenga au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) pour votre film Katanga, la danse des scorpions.Que représente pour vous ce grand prix ?
 
Comme le Fespaco est le plus grand festival de cinéma africain, ce prix est le plus grand prix du cinéma africain. C’est la consécration de plusieurs dizaines d’années de travail. C’est une reconnaissance qui compte énormément pour moi.


Que signifie « Katanga » ?


C’est une expression du Burkina Faso. Katanga fait référence à la province de la République démocratique du Congo qui a connu un violent conflit dans les années 1960. Quand on dit « c’est Katanga », cela veut dire que c’est compliqué et problématique. Ce mot est repris aussi bien en mooré qu’en dioula ou en français. Dans mon fi lm, le personnage principal s’appelle Katanga.


Votre film est une libre adaptation de Macbeth, de William Shakespeare. Est-il une allégorie des temps modernes et des situations politiques complexes que vit l'Afrique ?


C’est une fable autour du pouvoir qui rend fou. Macbeth est une allégorie de l’histoire politique du monde qui peut s’extrapoler à tous les continents et à toutes les
époques. Des Macbeth, il y en a eu partout et il y en a encore aujourd’hui beaucoup. Dans mon film se pose la question de l’autoritarisme, de la folie de la course au pouvoir et de la gestion de ce pouvoir. C’est un message universel. C’est pour cela qu’il m’a semblé intéressant d’adapter le texte de Shakespeare en mooré, la langue du peuple mossi très présent au Burkina Faso. Ce n’était pas évident. Mais cela a fonctionné. Quand on a dit à de vieux Mossis qui avaient vu mon fi lm que c’est un Anglais qui a écrit l’histoire, ils ont ri et dit que ce n’est pas possible, et que seul un Africain pouvait l’avoir écrite. Ils ne connaissent pas du tout Shakespeare et ils ne pouvaient pas imaginer que ce texte ait été écrit en anglais.


Comment avez-vous procédé pour cette traduction en mooré ?


Je suis parti d’une adaptation personnelle du texte en français, et ensuite j’ai travaillé avec quelqu’un qui connaît la langue mooré, et qui connaît Shakespeare et
le théâtre. Ensuite, cette personne a travaillé la traduction avec une autre qui connaît encore mieux la langue mooré, mais qui ne connaît pas du tout Shakespeare. Elle a traduit concrètement ce qui se dirait en mooré dans les circonstances du texte de Macbeth, et nous a proposé des proverbes en mooré qui reprenaient l’esprit du texte et apportaient plus de force qu’une simple traduction littéraire. Le fi lm a eu un énorme succès au Burkina Faso grâce à ce travail minutieux sur la langue. La pièce de Shakespeare est basée sur une langue écrite, alors que nous sommes de tradition orale, avec une parole très métaphorique. La langue mooré a pu s’adapter à un grand texte de façon magistrale et lui apporter une couleur supplémentaire. C’était un pari pour moi.


Dans votre film, vous avez choisi une forme cinématographique originale, très dépouillé. Pourquoi ?


Dès la conception de mon fi lm, j’ai voulu qu’il soit comme un conte, une fable qui sort du temps et de l’espace. J’ai voulu brouiller les pistes. C’est assez déstabilisant pour le spectateur, mais il fi nit par s’adapter. J’ai aussi fait appel à une approche théâtrale que je connais en tant que metteur en scène et enseignant. Et ce choix esthétique a été renforcé par les conditions de tournage. Comme j’avais très peu de moyens, j’ai choisi de travailler avec des décors minimalistes et cela a renforcé l’onirisme et la métaphore.


Le cinéma africain a connu une époque florissante, mais aujourd'hui, sa situation semble plus difficile. Pourquoi ce changement ?


Tout le dispositif traditionnel du financement du cinéma africain s’est effondré. Je fais partie de la dernière génération des cinéastes africains ayant pu profiter d’un système de production totalement dépendant des aides de la France, de l’Union européenne et de l’Organisation internationale des francophonies. Notre cinéma était sous perfusion avec tout un tas de subventions. Personne ne se souciait de développer une économie du cinéma africain qui lui aurait permis de devenir autonome et d’être distribué dans les salles de cinéma. Le cinéma africain était uniquement un cinéma d’auteurs. Les films n’étaient pas commercialisés et
pouvaient finir dans les tiroirs sans que cela choque quiconque. Et cela n’empêchait pas les réalisateurs de faire d’autres films. Puis pour différentes raisons, politiques et économiques, les financements ont commencé à devenir des peaux de chagrin et les guichets se sont fermés. Et il a fallu trouver des solutions.


Comment arrivez-vous encore à produire vos films ?


Il est clair qu’aujourd’hui, il est plus difficile de financer et de produire un film. Je fais partie de cette génération de cinéastes africains qui a été formatée par un système qui, pendant longtemps, n’avait pas d’alternative. On me demandait de toujours avoir des projets de films ambitieux, mais avec un budget de plus en plus réduit. Et aujourd’hui, je suis obligé de m’en sortir avec très peu de moyens. Il y a quelques cinéastes africains qui arrivent à trouver des productions avec Arte ou Canal+, mais cela représente très peu de gens. Par exemple, Abderrahmane Sissako, le réalisateur de Timbuktu, a reçu sept récompenses aux César et il a été tout de suite pris en charge par Gaumont. Ces cinéastes se comptent sur les doigts d’une main. Les autres doivent se débrouiller.


Vous demeurez quand même optimiste pour l'avenir du cinéma africain ?


Oui, car avec l’arrivée des nouvelles technologies en Afrique, il y a une nouvelle donne. Les jeunes réalisateurs sont sans complexe aujourd’hui. Ils disposent des
mêmes outils que tous les jeunes du monde entier. Ils ont les mêmes caméras, les mêmes bancs de montage, les mêmes logiciels. À Ouagadougou, un jeune peut monter son film comme un jeune Américain. C’est une révolution. Les jeunes se sont approprié cette technologie et sont en train de faire bouger les choses. Ainsi, j’ai pu tourner mon film avec une équipe 100 % burkinabée. C’est totalement nouveau pour moi. Ce n’était pas le cas avant. Ce sont de jeunes techniciens qui ont
été formés au Burkina Faso. Il n’y a que le chef opérateur qui est d’origine belge, mais qui est installé au Burkina Faso avec la nationalité burkinabée. Les choses sont en train de changer. Le cinéma africain se prend en main.


Comment sont distribués les films de ces jeunes réalisateurs africains dont vous parlez ?


Il existe de plus en plus de plateformes de cinéma et de chaînes privées. Beaucoup de diffuseurs sont en train d’émerger en Afrique. On est dans une effervescence et à une époque charnière où beaucoup de choses sont en train de se mettre en place. Une économie du terrain du cinéma africain est en train d’être créée. On peut désormais espérer que quelque chose qui tient la route sortira de cette effervescence, et qu’il émergera une production endogène et autosuffisante.


Comment est-ce possible de filmer au Burkina Faso et en Afrique de l'Ouest, dans des pays où règne l'insécurité sur une grande partie du territoire ?


Pour moi, le cinéma est un besoin, et je ne pourrais pas m’arrêter de faire des films. J’ai eu beaucoup de problèmes avec le film Katanga. J’avais prévu de le tourner dans le sud-ouest du pays, au centre, à Ouagadougou, et au nord. J’avais prévu des paysages de forêts, de savanes et de désert. Mais vu la situation d’insécurité actuelle, j’ai dû réaliser mon film dans un rayon de 40 kilomètres autour de Ouagadougou. C’est la seule zone sécurisée du pays. Au-delà de cette zone, il y a le risque de se faire attaquer par des terroristes. Il m’a fallu trouver une stratégie pour m’adapter, et j’ai dû inventer des solutions pour reconstituer la savane, la forêt et le désert. Il y a une zone de rochers à 30 kilomètres qui a servi de désert, et il y a dans Ouagadougou une forêt classée qui a servi de forêt. Cela m’a servi de créer mes décors. Les gens qui regardent le film ne peuvent pas s’en douter. La métaphore cinématographique permet de faire cela. C’est rêver et inventer. Dans le film, dans une scène de la cour du chef de terre – un responsable politique traditionnel –, apparaît une antenne parabolique ; c’est une provocation pour casser les repères. Il y a aussi les tricycles chinois, très présents au Burkina, qui servent aux militaires à se déplacer. Le roi roule dans une Renault 4 comme Thomas Sankara [l’ancien président du Burkina Faso, NDLR].


Comment se passe la distribution de Katanga au Burkina Faso, en Afrique et dans le restant du monde ?


Pour le moment, j’ai une société internationale de distribution qui s’occupe du film. Elle est dirigée par une Burkinabée qui fait la promotion du cinéma panafricain
et essaie de le placer. Elle a déjà sorti beaucoup de films, notamment Dahomey, de la réalisatrice sénégalaise Mati Diop. Elle négocie la sortie de mon film en France. Il est déjà sorti aux États-Unis. Le film est sous-titré en français, en anglais et en suédois. J’ai bon espoir.


Quels sont les réalisateurs et les réalisatrices africains qui ont compté pour vous ?


Je citerai d’abord le réalisateur malien Souleymane Cissé, puis le réalisateur sénégalais Djibril Diop Mambéty. Ils m’ont beaucoup inspiré. Mambéty a compté pour moi pour sa révolution formelle et esthétique. Il était très en avance dans ce domaine. À l’époque, beaucoup de dirigeants africains et d’intellectuels se demandaient comment se servir du cinéma pour éduquer la population africaine et dénoncer les injustices avec des méthodes très didactiques. Mambéty dénonçait la perte d’identité aussi, et essayait de convaincre les jeunes de ne pas émigrer vers l’Europe en se servant de la forme esthétique et de la poésie de l’image. Le film Yeelen (La Lumière), de Souleymane Cissé, qui a été primé à Cannes, a été pour moi une révolution. C’était le premier film basé sur un drame animiste. Il racontait une histoire purement africaine en se servant du cinéma. Quand on regarde ce film, on voit l’histoire d’un père et d’un fils, c’est du cinéma purement africain avec ses propres codes, mais qui est universel. Et pour moi cela a créé un déclic et m’a poussé dans ma carrière cinématographique.
 

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