ETIENNE BERTHIER

IL FAUT LIMITER NOS ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE POUR PRÉSERVER LES GLACIERS QUI PEUVENT ENCORE L’ÊTRE

Pour l’Organisation des Nations unies, 2025 est l’année internationale de la préservation des glaciers. Directeur de recherche au CNRS à Toulouse, le glaciologue Étienne Berthier étudie les changements de volume des glaciers au sein du Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales (Legos). Il a cosigné plusieurs études de référence publiées dans la revue Nature en 2021 et 2025. TEXTE DE CÉCILE MARCHE

Image ETIENNE BERTHIER
Que sont les glaciers ? Les distingue-t-on des calottes polaires ?


Ce sont des masses de glace pérennes, en mouvement ou qui l’ont été dans le passé. Ils se forment sur les continents par accumulation de neige, alors que la
banquise se forme par le gel de l’océan. Ce qui les distingue des calottes polaires du Groenland et de l’Antarctique, c’est simplement leur taille. Les calottes sont
beaucoup plus vastes et étudiées différemment. Les glaciers représentent environ 700 000 km² sur Terre, soit un peu plus que le territoire français métropolitain. Dans notre inventaire global par images satellites, nous en avons recensé 275 000, dont énormément de petits glaciers. Le plus important est leur volume total :
une trentaine de centimètres d’équivalent au niveau des mers, soit le potentiel de hausse si tous les glaciers fondaient. En comparaison, il est de 7 m pour le
Groenland, et de 60 m pour l’Antarctique.


Vous avez participé à l’élaboration d’un atlas global. Est-ce un tournant dans la connaissance scientifiques des glaciers ?


Je crois que l’on peut le dire, si l’on se fie aux nombreuses citations de notre article sur les changements de volume des glaciers (2021). Ce travail, mené par Romain Hugonnet, ancien doctorant au Legos, et publié dans la revue Nature, est repris dans de nombreuses études. Jusqu’à présent, nous disposions d’estimations moyennées par très grandes régions, ou des mesures de terrain, sur des glaciers individuels. Pour la première fois, nous avons une vision globale et exhaustive de la perte de masse de chaque glacier et de leur évolution grâce aux images des satellites, notamment celles d’Aster en orbite depuis 1999. Ces travaux permettent d’établir des projections d’évolution future de chaque glacier en fonction du climat. Selon une autre étude publiée dans Nature début 2025, les glaciers des Alpes et des Pyrénées ont perdu 39 % de leur volume entre 2000 et 2023 : cela montre bien l’ampleur de la perte.


La perte de masse concerne-t-elle toutes les régions du monde ?


Toutes les régions perdent de la masse, et environ un quart de la hausse actuelle du niveau marin vient de la fonte des glaciers. Aujourd’hui, les glaciers comptent un peu plus que le Groenland et beaucoup plus que l’Antarctique dans cette hausse. Ce n’est pas une surprise, la Terre se réchauffe et en réponse les glaciers fondent. Par contre, nous avons été surpris par l’impact de la canicule de 2022. Ainsi, les glaciers dans les Alpes qui perdaient 1 m par an depuis 2000, ont perdu environ 3 m d’épaisseur en seulement un an, et surtout, ce sont les régions à plus haute altitude qui ont été affectées. Au cours de l’été, il y a un amincissement anormal jusqu’au sommet du Mont-Blanc, de 1 m à 2 m. Cela a été une véritable « claque », pour nous, glaciologues, de voir que ces zones commencent à être touchées

Quelles sont les causes de ce déclin ?


Les glaciers fondent sous l’effet de la température. Depuis près de soixante ans, des glaciologues effectuent des mesures de terrain de l’état des glaciers à la fin de l’hiver et de l’été. Résultat : l’accumulation neigeuse hivernale est stable, voire augmente légèrement. Ils sont nourris de la même manière chaque hiver. En
revanche, en été, il y a un vrai décrochement à partir des années 1990/2000 avec une augmentation des pertes de masse estivales qui sont le résultat de l’augmentation de la fonte. Ils perdent de la masse en raison de l’augmentation des températures estivales. Une augmentation qui est aujourd’hui attribuée intégralement aux émissions de gaz à effet de serre liées aux activités anthropiques, comme le démontre le GIEC.


Le lien entre la perte de masse et le changement climatique lié à nos activités est aujourd’hui indéniable donc…


Oui, ce sont des certitudes fortes aujourd’hui. Il y a un facteur qui pourrait compter, c’est l’inertie des glaciers. En effet, il y a eu des périodes froides, de la fin du Moyen Âge jusqu’à 1850, « le petit âge glaciaire ». En 1850, la Terre s’est réchauffée pour des raisons naturelles, et à ce moment-là, les glaciers ont reculé. Aujourd’hui, une toute petite partie de la perte de masse actuelle est une réponse décalée à cette sortie du petit âge glaciaire, mais cette part décline fortement parce qu’on s’éloigne de cette période. Aujourd’hui, l’intégralité de la perte de masse s’explique par les activités humaines. Il y a des facteurs naturels, d’insolation, d’activité volcanique, mais cela est très faible par rapport à l’impact des activités.


Quelles sont les régions les plus touchées ?


Ce sont celles où les glaciers sont de plus petite taille : les Alpes et les Pyrénées, le Caucase, la NouvelleZélande, les Andes tropicales, en Indonésie ou au
Kenya où les glaciers sont en train de disparaître. Il y a d’autres régions où ils fondent vite et perdent à peu près 1 m par an. Pour autant, comme ils sont beaucoup plus épais et de plus grande taille, le pourcentage de perte de masse reste plus « raisonnable ».Ceux qui résistent le mieux sont dans les régions polaires, dans le Svalbard, l’Arctique russe ou au nord du Canada.

 
Dans un scénario de réchauffement global de 1,5° C ( objectif de l'accord de Paris) les glaciers pourront-ils subsister ? Qu'en est-il à 4° C ?


Avec un réchauffement de 1,5 °C, la moitié des glaciers disparaîtront, soit un quart de leur masse totale ; à 4 °C, on atteint plus de 80% de perte des glaciers en nombre et 40% en masse. Les plus petits sont les premiers à disparaître parce qu’ils sont très vulnérables et très nombreux. Dans les Pyrénées, ils sont voués à disparaître dans dix ou quinze ans, car le climat s’est réchauffé trop vite. Dans les Alpes, des glaciers à plus haute altitude, de plus grande taille, vont résister plus longtemps, et il en resterait entre 1% et 10%. Ailleurs, il est impératif de limiter nos émissions de gaz à effet de serre pour préserver tous les glaciers qui peuvent encore l’être.

Les glaciers peuvent nous paraître lointains, mais quelles sont les conséquences de leur fonte ?

Il y a la hausse du niveau de la mer, qui affecte déjà les côtes françaises et mondiales entraînant des déplacements de population. De plus, les glaciers jouent un rôle de château d’eau : ils stockent la neige en hiver et fondent en été au moment où nous avons besoin d’eau pour l’agriculture, pour refroidir nos centrales
nucléaires notamment, maintenir les débits des rivières à des températures normales pour les écosystèmes. Dans les Pyrénées, les glaciers sont trop petits et ne jouent pas ce rôle. Avec leur disparition annoncée, nous perdons surtout un emblème, un patrimoine et c’est très dommage. Ce rôle hydrologique est plus important dans les Alpes, même si ce n’est pas toute l’année, et que cela varie selon les années de sécheresse. En ce mois de juin caniculaire, il y a encore beaucoup de neige. Quand elle aura fondu fin août et en l’absence de pluie, ils peuvent jouer un rôle important. À Beaucaire, sur le Rhône, pendant la canicule d’août 2003, 50 % du débit du Rhône venait de la fonte des glaciers. Ailleurs, ce rôle de château d’eau est encore plus crucial. En Asie centrale, en période de sécheresse, l’intégralité du débit de la rivière vient de la fonte des glaciers. Le jour où les glaciers disparaîtront, ce sera catastrophique. Par contre, au Népal, ils fondent en été au moment de la mousson indienne, et la part de l’eau des rivières qui vient des glaciers est faible. De même, dans les régions arctiques, il y a peu de population, ils terminent directement dans la mer en formant des icebergs. Cela va surtout impacter la hausse du niveau de la mer. Les glaciers sont le deuxième facteur d’élévation du niveau de l’océan après le réchauffement.

 

En juin 2024, le hameau de La Bérarde ( Isère) était dévasté après la vidange brutale d'un lac glaciaire. Cette année, le village suisse de Blatten a été ravagé par un effondrement de glacier. Comment éviter ces catastrophes ?

Il y a eu une combinaison de différents événements à La Bérarde : la pluie, la fonte de la neige et un lac glaciaire qui s’est vidangé provoquant un afflux d’eau
brutal qui a abouti à la catastrophe. Une personne est décédée à Blatten, mais ces sites étaient suivis et les autorités civiles ont réagi très vite, évitant un bilan
bien plus lourd. Le risque zéro n’existe pas, mais il est possible de le limiter en surveillant les glaciers ou le réchauffement du permafrost, en détectant les éboulements, les morphologies glaciaires anormales ou le développement de lac glaciaire.

 
Au-dessus de la station de Tignes, les autorités ont installé des tuyaux pour vidanger un lac glaciaire et diminuer le risque. Comment les scientifiques suivent-ils les glaciers ?


Nous, scientifiques, en amont, grâce au suivi par satellite, aux photographies aériennes, nous pouvons développer des outils pour caractériser l’évolution des surfaces des glaciers, détecter des zones d’eau, des lacs glaciaires. Il y a des menaces cachées et difficiles à détecter à l’instar des poches d’eau à l’intérieur du glacier comme c’est le cas dans celui de Tête-Rousse au-dessus de Saint-Gervais. Des travaux sont en cours pour créer des outils opérationnels, avec image satellite et intelligence artificielle, qui pourront être transmis à des organismes de suivi du risque pour suivre les glaciers en temps réel.


Recouvrir les glaciers de bâches pour limiter leur fonte, est-ce une bone idée ?

 
C’est dérisoire, et cela a des dégâts collatéraux. Ce n’est pas pour protéger les glaciers, c’est surtout pour protéger les activités économiques…


En 2023, le président de la République a annoncé vouloir placer les glaciers français sous protection. Est-ce une bonne chose ?

Dans les zones qui vont se déglacer dans le futur, de nouveaux écosystèmes vont apparaître. Il y a aussi potentiellement des ressources à exploiter, d’où le besoin de les protéger afin d’éviter des dégradations supplémentaires. Il est souhaitable de les mettre sous protection forte, surtout lorsque l’on voit ces images de
pelleteuses sur les glaciers pour aménager une piste de ski dans la station de Zermatt (Suisse). Nous n’avons pas besoin de les détruire encore plus, au moment où les glaciers perdent de la masse sous notre impact. Dans les Andes, l’Argentine a décrété une loi de préservation des glaciers pour éviter qu’ils ne soient exploités à nouveau pour les ressources minières. En Asie centrale, des mines à ciel ouvert détruisent des glaciers, avec des poussières générées qui se déposent et accélèrent leur fonte. Toutes les initiatives pour les protéger peuvent donc être importantes.


Avez-vous des raisons d’être optimiste malgré la situation ?


Beaucoup de glace peut être préservée, à hautes latitudes, dans les calottes polaires notamment. Elles sont en train d’être touchées par le réchauffement, avec un
impact potentiel fort sur la hausse du niveau des mers. Nous pouvons agir en limitant le réchauffement et éviter des scénarios plus catastrophiques. Ces zones sont
très impactées par le réchauffement des océans, plus que par l’atmosphère, car les glaciers se terminent dans la mer. Il y a des enjeux autour de l’étude, par les glaciologues et océanographes, des mécanismes d’interaction entre la dynamique de la glace et les eaux océaniques et l’évolution future de ces régions. C’est compliqué, il faut étudier ce qui se passe sous la glace. En France, la communauté scientifique s’organise pour définir une feuille de route de la recherche dans les régions polaires. Il est important d’assoir nos capacités d’observation sur terre (par une rénovation de la station de Dumont d’Urville en terre Adélie), en mer (pour disposer d’un navire capable de naviguer au milieu des glaces) et depuis l’espace puisque des missions satellitaires clés comme Pléiades ou Aster sont en fin de vie et risquent de ne pas être remplacées.
 

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