Pauline Londeix
Pauline Londeix est l’auteure du livre Footballs politiques – Peut-on encore aimer le sport de haut niveau ? Ecrivaine, chercheuse et Joueuse de football, elle a créé en 2023 le groupe de réflexion O2-Sport pour se pencher sur les perspectives éthiques et politiques de la pratique sportive. Elle est intervenue à plusieurs reprises, notamment auprès de l’Organisation mondiale de la santé, pour contester le monopole des laboratoires pharmaceutiques sur le commerce des médicaments et des vaccins. TEXTE DE PHILIPPE BAQUE
Mon père, Georges Londeix, a écrit dans les années 70 un roman intitulé Football, consacré à un joueur du club italien de la Fiorentina. En tant qu’écrivain, il aimait décrire la dramaturgie du football et les actions qui se déroulent sur le terrain. Il a ainsi influencé très tôt ma passion pour ce sport. En grandissant, je me suis demandé comment concilier des valeurs comme la solidarité ou la lutte contre les inégalités, avec un sport où la spéculation économique et la récupération politique prédominent. Avec l’arrivée des Jeux olympiques à Paris, j’ai pensé que c’était le moment de comprendre ce que le sport apporte à la société et pourquoi il nous fascine tant. J’ai cherché aussi à connaître les initiatives et les actions qui pourraient faire évoluer les pratiques. Dernièrement, j’ai organisé une table ronde au Sénat sur le thème« Un autre sport est-il possible ? ».Les personnes présentes avaient toutes envie de développer une autre approche du sport.
« Peut-on encore aimer le sport de haut niveau ? » Pourquoi cette question dans le titre de votre livre ?
Si l’on s’intéresse à l’histoire du sport de haut niveau, on voit que la récupération du sport à d’autres fins que lui-même, notamment à des fins politiques, a toujours
été une constante. Mon idée était d’enquêter sur cette question. Je formule des ébauches de propositions dans le livre, mais il n’y a pas encore vraiment de réponse pour le moment.
Vous évoquez une part sombre qui existerait dans le sport, et plus précisément dans le football. Pouvez-vous nous en dire plus ?
En premier lieu, il y a une part sombre économique. Autour du football de très haut niveau, on parle beaucoup des très bons salaires de certains joueurs, mais
on parle rarement des joueurs qui sont dans des situations contractuelles très difficiles. La majorité des joueurs et des sportifs vivent dans la précarité. Il y a ces
inégalités économiques, mais il y a aussi les inégalités entre les hommes et les femmes. Ainsi, à l’occasion du Championnat de France féminin de football, les joueuses ont revendiqué des salaires décents. Mais cette revendication est très difficile à faire appliquer. Il y a aussi une part sombre due à la violence et à la discrimination. Cette violence est visible dans les tribunes, sur le terrain, même sur les terrains amateurs, avec des entourages qui ont des influences malsaines sur les joueurs. Et il y a aussi les discriminations, comme le racisme, le sexisme et l’homophobie. Dans le football, on voit bien que tout cela est bien ancré et qu’il est difficile de faire prendre conscience de la gravité de ces comportements.
En tant que spécialiste de la santé, vous vous êtes intéressée aux conditions physique et psychique des sportifs, mis en danger par le culte de la performance. La santé des sportifs est-elle négligée ?
Je ne pensais pas aborder ce domaine en débutant mon enquête, mais je me suis rendu compte que les questions de santé étaient constamment éludées. Quand il y a une commission parlementaire qui enquête sur les dysfonctionnements du sport en France, elle aborde les aspects économiques ou la gouvernance, mais elle
élude les questions de santé. Le corps est pourtant l’outil de travail de tous les sportifs. Beaucoup de choses ne sont pas pensées et adaptées pour la santé de certains sportifs. Je pense à la spécificité des femmes, qui ont un développement musculaire plus tardif. La préparation dans le sport de haut niveau ne semble pas adaptée à leur spécificité biologique. Certaines blessures très graves, comme la rupture des ligaments croisés, sont plus fréquentes chez les femmes. L’autre aspect de la santé des sportifs peu évoqué, ce sont les coups et les commotions cérébrales. Des études réalisées aux ÉtatsUnis ont montré que certains joueurs de football américain étaient touchés par des problèmes neurologiques graves après leur carrière sportive. En France, un sport comme le rugby est aussi concerné par de nombreux cas de commotions cérébrales.
Le football peut-il échapper aux enjeux fnanciers ?
Vous écrivez que le football féminin pourrait sauver ce sport. Pourquoi et comment ?
Je pense que le football féminin est porteur de valeurs sociales. Par exemple, en Italie, lors des matchs de foot féminin, on ne sent pas la violence dans les tribunes et on n’entend pas d’insultes comme chez les hommes. C’est assez plaisant. Cette façon de soutenir une équipe doit être encouragée. Il y a aussi beaucoup
moins de simulations dans le football féminin. Il n’y a pas besoin de l’assistance vidéo, car les joueuses simulent très peu. Je peux aussi parler du côté spectacle du football féminin. Le foot masculin est devenu extrêmement vertical et très rapide. Mais quand je regarde jouer le club féminin de l’AS Rome, j’ai l’impression de revoir le football d’antan. Tout le monde peut s’exprimer sur le terrain et le jeu est plus cohérent. Cela va un peu moins vite, mais cela permet le développement d’un autre jeu. Ce nouvel élan amené par le football féminin sauvera peut-être le football.
Dans votre livre, vous citez beaucoup les équipes féminines italiennes. Est-ce qu’en France le football féminin a pris du retard ?
La France a eu la chance, et aussi la malchance, d’avoir l’Olympique lyonnais, qui a longtemps été la locomotive du football féminin dans notre pays. Puis le
PSG a décidé de créer son équipe féminine et tout le monde a misé sur ces deux équipes, en se disant que, de toute façon, elles continueront à gagner la Ligue des champions chaque année, et qu’il n’y a pas besoin de travailler autre chose. En Italie, les clubs féminins ont une plus longue expérience. La ligue italienne a réfléchi à un championnat qui serait de plus en plus compétitif, avec un format qui puisse intéresser le public. Les choses reposent sur de bonnes bases avec beaucoup de clubs qui ont des moyens et qui progressent chaque année, comme la Juventus Turin, l’AS Rome et la Fiorentina. En France, les infrastructures d’entraînement ne suivent pas. Les joueuses s’en plaignent beaucoup. Le football féminin a pris beaucoup de retard et tout ne repose que sur deux clubs et leurs images. Mais les bases ne sont pas saines comme on peut le voir avec l’équipe féminine du PSG qui rencontre beaucoup de problèmes organisationnels et qui est délaissée par la présidence du club.
Vous rappelez que Pierre de Coubertin refusait la présence des femmes dans les compétitions. Pourquoi ce rejet des femmes dans le sport ?
Ce rejet est dû à des raisons sociales. Des études montrent que la place des femmes au sein du sport peut être mise en parallèle avec le nombre de postes politiques auxquels elles ont accès. Ce refus de laisser la place aux femmes dans des sports comme le football est le reflet d’une société qui ne s’est pas encore totalement ouverte aux droits des femmes.
Le scandale du baiser imposé par l’ancien président de la fédération de football espagnole à la championne du monde Jennifer Hermoso a-t-il fait bouger les choses au niveau du sexisme dans le sport ?
Je ne peux que renvoyer les lecteurs aux travaux de la sociologue Béatrice Barbusse, qui est une ancienne joueuse professionnelle de handball et qui a publié
plusieurs ouvrages sur le sexisme dans le sport. Elle y dénonce tous les obstacles que les femmes doivent franchir pour avoir accès à des responsabilités dans le
monde du sport. Aujourd’hui, combien de femmes ont des responsabilités au niveau du football européen ? Aucune. Il existe une seule femme arbitre, qui est obligée de subir en permanence des insultes. D’une façon ou d’une autre, les femmes sont dissuadées d’accéder à des postes de pouvoir. Cela montre bien la difficulté pour les femmes à être respectées dans ce milieu. On le voit aussi au niveau du journalisme sportif avec des temps d’antenne à la télé ou à la radio très réduits pour les femmes.
Pour vous le flag football - sport dérivé du football américain avec des équipes de 5 joueurs, discipline olympique en 2028 - serait un exemple du sport
du futur ? Pourquoi ?
Je trouve que le flag football répond à deux problèmes. Le premier, c’est la gestion des contacts à répétition sur les corps des athlètes. Dans le flag foot, on remplace le contact et le plaquage du football américain par des drapeaux que l’on doit enlever du short de l’adversaire. C’est assez esthétique et très sportif. Cela évite les contacts violents. Ensuite, le flag foot répond à la question de la discrimination par la pratique du sport dans la mixité. Sur le terrain, dans l’équipe de 5 joueurs, vous pouvez avoir deux femmes et trois hommes ou l’inverse. La mixité doit être respectée en temps de jeu avec les joueurs et les joueuses que l’on fait entrer sur le terrain.