XAVIER SIMONIN
Xavier Simonin est le créateur du festival À Sahel Ouvert, qui a lieu tous les deux ans dans le désert, à Mboumba (Sénégal). Comédien et metteur en scène, il a fondé l’association Globe qui mène depuis dix ans une démarche de développement par la culture dans des zones de grande ruralité, telles que le nord du Sénégal. Pour ses actions, l’association a été récompensée en 2019 comme l’un des dix porteurs de projets les plus prometteurs de la bonne gouvernance mondiale au Forum de Paris sur la paix. TEXTE DE PHILIPPE BAQUÉ

Pouvez-vous nous parler de votre rapport à l’eau ?
Je suis né en Côte-d’Ivoire, au bord des lagunes, et j’y ai découvert l’importance de l’eau dans des régions soumises à de fortes chaleurs. Depuis une trentaine d’années, je passe une grande partie de ma vie dans une région à la frontière du Sénégal, de la Mauritanie et du Mali, qui est traversée par le fleuve Sénégal, l’un des plus grands d’Afrique. Les populations que je côtoie m’ont enseigné une écosensibilité et ont énormément inspiré les projets de développement que je soutiens. Ces personnes sont totalement dépendantes du fleuve Sénégal, un peu comme les Égyptiens qui vivent sur les bords du Nil. Elles ont aussi un patrimoine
culturel et immatériel, une mythologie liée à l’eau, qui est pour moi une source d’inspiration dans mon métier de comédien et de metteur en scène.
Pourquoi avez-vous créé l’association Globe ?
Depuis de nombreuses années, je vois mes amis africains arriver en Europe dans des conditions de plus en plus terribles. Je me suis demandé ce que je pouvais faire pour ce continent qui m’a vu grandir. En Afrique, dans les projets de développement engagés par les Occidentaux, je voyais beaucoup d’approches trop verticales. Durant les discussions dans les villages, je trouvais qu’il manquait un maillon de compréhension entre la culture occidentale et la culture africaine. J’ai compris que c’est ici que les artistes ont un rôle à jouer. J’ai donc essayé d’organiser des modèles de développement en me basant sur la réappropriation culturelle et identitaire des populations. C’est ainsi qu’est née l’association Globe. L’eau a ainsi naturellement pris une place centrale dans les projets de théâtre, de danse, de musique et de film que nous soutenons, en tant que cordon ombilical entre tous les êtres qui habitent au bord du fleuve.
L’association a créé en 2010 le festival À Sahel Ouvert qui se tient à 550 km de Dakar, dans la ville de Mboumba. Quelle est la place du fleuve Sénégal dans ce festival ?
Mboumba est un petit village bâti en retrait du fleuve à cause des crues. Durant la saison sèche, le fleuve se retire et dégage des plages naturelles qui permettent de recevoir les scènes de ce festival décentralisé. C’est un site unique qui ressemble à un amphithéâtre antique. Des milliers de personnes peuvent s’y réunir. Nous sommes dans le désert, loin de tout, où les populations sont extrêmement disséminées. Les ONG rencontrent beaucoup de difficultés pour intervenir dans ce secteur. Elles ont besoin de résultats quantitatifs, elles préfèrent agir dans les villes, où la densité démographique est beaucoup plus importante. Nous, nous vivons aux côtés de ces populations, nomades et sédentaires. Le festival capte les habitants d’une zone longue de plusieurs centaines de kilomètres du nord du Sénégal, entre Saint-Louis, sur la côte, et Matam, à la frontière mauritanienne. Il peut attirer entre 10 000 et 20 000 personnes par édition. Cela nous permet de faire des opérations de santé massives et sans précédent, mais aussi des opérations de sensibilisation à la cause environnementale et sur l’éducation.
La dernière édition du festival abordait la valeur symbolique et stratégique de l’eau, ressource vitale par excellence. Pouvez-vous nous en dire plus ?
En 2019, l’association Globe a été distinguée pour sa bonne pratique et sa bonne gouvernance par le Forum de Paris sur la paix. Puisque le prochain Forum mondial de l’eau se tenait à Dakar en mars 2022, ses responsables nous ont proposé de collaborer avec eux. Les responsables du Geneva Water Hub (GWH) – centre de réflexion pour la recherche sur la gouvernance et la diplomatie de l’eau de l’université de Genève et secrétariat du Panel mondial de haut niveau sur l’eau et la paix – nous ont aussi approchés. Ils voulaient mesurer la compréhension que les populations riveraines du fleuve Sénégal pouvaient avoir des crises qui vont concerner les ressources en eau. Vu que nous savons parler avec ces populations, le GWH nous a demandé d’organiser une rencontre entre elles et les grands experts mondiaux. Cela a eu lieu à Mboumba durant le dernier festival À Sahel Ouvert. De ces rencontres est né un texte, L’Appel de Mboumba, qui a été présenté lors du Forum mondial de l’eau. Il a été intégré au livre blanc résultant de ce sommet international. Avec ce plaidoyer, nous avons pu faire entendre aux
chefs d’État les voix des populations riveraines du Sénégal sur le rapport qu’elles ont avec l’eau, source de vie. Elles ont aussi donné leur avis sur les barrages construits sur le fleuve Sénégal. L’Appel de Mboumba parle des grandes perspectives internationales autour de la ressource eau en rappelant comment il faut la gérer, aussi bien entre États au niveau international que, au niveau local, entre les différentes ethnies. Nous avions aussi pour partenaire l’OMVS (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal), l’organisme supranational qui gère le bassin aquifère de la zone. Ce bassin se trouve sous la Guinée, le Burkina Faso, le Mali et la Mauritanie. Ce n’est pas le chef d’État sénégalais, c’est cet organisme qui dicte ses prérogatives aux chefs d’État.
Quelle est aujourd’hui la situation du fleuve Sénégal ?
Pour le moment, le fleuve Sénégal n’est pas surexploité. Mais ce qui est dommage, c’est que beaucoup de choses, tels les barrages hydroélectriques, ne bénéficient pas aux populations riveraines. L’électricité est acheminée aux grandes villes comme Dakar ou Saint-Louis par des câbles qui passent au-dessus des villages, mais les populations n’y ont pas droit. C’était l’un des problèmes abordés lors du Forum mondial de l’eau. Les barrages ont aussi des répercussions sur la faune halieutique. Les gens constatent qu’il y a de moins en moins de poissons dans le fleuve. En revanche, ces infrastructures ont une vertu, celle de réguler le niveau des eaux. Là, les populations peuvent en bénéficier.
Les populations riveraines ont-elles accès à l’eau potable et à l’irrigation ?
L’alimentation en eau des villages est un problème. Le long du fleuve, on estime que 20 % des familles n’ont pas accès à l’eau potable. Un autre souci est l’assainissement qui est totalement inexistant. L’évacuation des eaux sales n’est pas gérée. Pour le moment, cela n’engendre pas de maladies, comme la schistosomiase, car il n’y a pas d’eau stagnante, mais les conséquences du manque d’eau comprennent des déshydratations et des maladies liées aux problèmes d’assainissement. Malheureusement, ces zones sont trop éloignées des grands centres urbains et trop peu peuplées. Les ONG hésitent encore à y aller.
Beaucoup de terres le long du fleuve ont été accaparées par des organismes chinois pour créer des rizières. Les populations locales y sont-elles associées ?
À proximité de Mboumba se trouve l’Île à Morfil, située entre le fleuve Sénégal et l’un de ses bras, longue de 70 km, large de 15 km et peu accessible. De nombreuses traditions millénaires liées à l’animisme qui définissent l’identité du peuple peul y avaient été préservées. Cette zone étant très fertile, les Chinois s’y sont intéressés et l’ont aménagée en rizières. Sur les berges du fleuve, il existait des bassines naturelles qui retenaient l’eau durant la saison sèche et permettaient aux Peuls sédentarisés, appelés Halpoulars, de cultiver leurs lopins de terre. C’est ce qu’on appelle les cultures de décrue. Les exploitants chinois ont tout nivelé et ces petits paysans ne peuvent plus cultiver. Non seulement les Chinois appauvrissent les sols et exproprient les populations, mais ils participent aussi à la disparition d’une culture ancestrale.
La question de l’émigration, due à la sécheresse et au dérèglement climatique, se pose-t-elle aussi au Sénégal ?
Mboumba est située sur l’un des grands axes de migration vers Saint-Louis, qui mène aux Canaries puis à l’Europe continentale. Et la migration est de plus en plus forte. Le dérèglement climatique, et la déforestation non contrôlée le long du fleuve, due aux besoins des populations, font que ces zones deviennent arides. Il y a aussi un problème de ponction de l’eau dans les nappes phréatiques pour alimenter les programmes d’agriculture intensive, justifiés par la souveraineté alimentaire. Mais le paradoxe, c’est qu’ils provoquent aussi une paupérisation des populations qui ne mangent pas forcément à leur faim. C’est une conjugaison de facteurs qui pousse à tenter l’émigration.
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